« Redéfinissons la naissance avec audace et bienveillance » - ce slogan d'une doula que j'apprécie a récemment fait réagir mon conjoint :
« C'est quand même dommage qu'il faille de l'audace pour accoucher... » 
Sur le moment, je n'ai pas su lui expliquer pourquoi cette notion d'audace me parle tant.
Je comprends sa réaction: il trouve injuste que les personnes qui accouchent doivent faire preuve de courage pour simplement être respectées.
Je sais aussi que pour d'autres, parler d'audace dans l'accouchement est un affront à l'establishment médical : « pas d'audace à avoir on écoute les experts, point barre »
mais avant d'aller plus loin....
Qu'est-ce que l'audace, au fond? 
Si vous tapez "audace" dans Google Images, vous verrez principalement des hommes qui sautent dans le vide :
Dans son podcast, Philosophy is sexy, Marie Robert nous invite à considérer l'étymologie et se base sur les mots de Kant :
«Sapere aude» :
Oser savoir
Oser penser par soi-même! 
L'audace ce n'est pas sauter dans le vide, elle implique deux temps essentiels:
- D'abord la réflexion, la remise en question: Oser savoir par soi-même

- Puis l'action, la mise en pratique de notre réflexion

L'audace dans la naissance
On nous présente souvent un modèle unique d'accouchement : médicalisé et contrôlé.
Comme une évidence. Une voie toute tracée à ne pas trop questionner au risque de déranger.
Parce que notre société nous pousse moins à penser par nous-mêmes, qu'à exécuter les consignes des autorités ; nous vivons (subissons?), la plupart du temps, le suivi de grossesse en allant de test en test, de rendez-vous en rendez-vous, sans vraiment poser de questions. Faut dire qu'on ne nous offre pas souvent l'espace de le faire.
L'audace dans l'enfantement, c'est refuser de se «faire prendre en charge», de se placer dans la passivité de la ou du patient·e. C'est choisir de prendre les commandes de son propre navire, peu importe le lieu de naissance ou les personnes présentes.
C'est oser prendre responsabilité. 
La naissance auto-dirigée : une décision audacieuse par excellence 
Quand on parle de naissance auto-dirigée, on touche à l'essence même de l'audace.
Ce terme, que j'emprunte à la sage-femme américaine Whapio Diane Bartlett, désigne une approche où la personne qui accouche est véritablement au centre du processus.
Une naissance auto-dirigée implique de:
- Reprendre sa responsabilité

- S'éduquer sur les options disponibles

- Se questionner sur ses propres valeurs

- Prendre des décisions pour vivre sa mise au monde en souveraineté

Cela ne signifie pas d'accoucher sans assistance médicale (bien que ce puisse être un choix tout à fait légitime et valable), mais plutôt de s'assurer que chaque décision est prise consciemment, en pleine connaissance de cause.
C'est renverser complètement le paradigme actuel où l'on se considère chanceuse d'avoir des médecins et des infirmières à nos côtés, alors qu'en réalité, ce sont elleux qui ont le privilège d'assister à la naissance de notre bébé.
Un privilège qui, selon l'OMS, ne serait médicalement nécessaire que dans 10 à 15% des naissances.
Pourtant, au Québec, 96% des accouchements ont lieu à l'hôpital.
La différence entre ces chiffres devrait nous interroger, non? 
Faire confiance à son corps : un acte révolutionnaire 
L'une des formes d'audace les plus profondes dans l'enfantement est peut-être celle-ci : oser faire confiance à son corps malgré des décennies de pratiques et récits qui l'ont systématiquement incapabilisé.
Femmes et personnes de la diversité sexuelle et de genre, nous vivons dans une société qui nous rabaisse, objectifie et humilie nos corps. On nous a appris à douter de nous-mêmes et à ignorer nos ressentis, comme si notre douleur n'était jamais légitime mais plutôt le signe que nous sommes «trop sensibles», un peu trop «chochotte ». 
Alors oui, enfanter en reprenant en charge notre propre expérience devient un geste d'audace féministe.
C'est se dresser contre des siècles de conditionnement et dire : «Mon corps sait. Je sais.» 
Naviguer en zone d'incertitude 
Ce qui nous paralyse souvent face à l'enfantement n'est pas un danger objectif, mais plutôt notre peur de l'inconnu et notre désir de tout contrôler.
Nous cherchons des garanties que nos choix sont les bons, que nos décisions mèneront précisément aux résultats espérés.
Mais comme le souligne Marie Robert dans son podcast sur l'audace, accepter de naviguer en zone d'incertitude fait partie intégrante de toute démarche audacieuse. Notre rationalité est limitée - nous pouvons analyser, prévoir, et anticiper, sans jamais pouvoir tout maîtriser.
Les interventions obstétricales elles-mêmes sont souvent un coup de dés.
Je me rappelle cette personne que j'accompagnais qui s'est fait proposer une rupture des membranes parce que le déclenchement au pitocin allait assez bien, mais bébé semblait moins aimer les contractions triples (un inconvénient courant des contractions sous ocytocine de synthèse).
Après avoir pris l'information, elle a simplement demandé: «Est-ce qu'on est sûr que ça va vraiment aider?» En réalité, même la médecin ne pouvait le garantir.
C'est souvent ainsi avec les interventions obstétricales - elles peuvent :
- débloquer des situations
- ou nous pousser inexorablement dans une cascade d'interventions...

L'audace diffère fondamentalement de la simple prise de risque.
Quand une décision correspond à notre cohérence personnelle, elle devient la moins risquée pour nous, même si elle paraît audacieuse aux yeux des autres.
Cette cohérence personnelle varie d'une personne à l'autre, et même d'une expérience à l'autre. Ce qui était juste lors d'une première grossesse peut ne plus l'être pour la suivante. Ce qui convient parfaitement à une personne peut être inadapté pour une autre.
C'est pourquoi quand un choix est véritablement aligné avec notre propre cohérence, le risque tel qu'on l'entend habituellement s'estompe - nous avons mesuré ce qui est acceptable pour nous, dans notre situation unique. 
L'audace d'enfanter : un acte transformateur 
Pour conclure, j'aimerais revenir sur cette idée qui me tient particulièrement à cœur : enfanter en prenant pleinement charge de son expérience est un acte d'audace qui transforme.
C'est faire le choix de croire en soi dans une société qui nous rabaisse et objectifie constamment.
C'est refuser d'être réduit·e à un «cas», un «dossier» ou un·e simple «patient·e».
C'est affirmer: «Je suis capitaine de ce navire. Mon corps, ma décision.» 
Cette prise d'espace, cette affirmation de soi dans un passage où l'on est à la fois vulnérable et terriblement puissant·e devient un tournant décisif dans notre vie. C'est un moment où l'on apprend à faire confiance à sa voix intérieure, à affirmer ses besoins, à poser ses limites.
Et cette leçon, on l'emporte avec soi bien au-delà de la salle d'accouchement. 
C'est peut-être l'une des formes d'audace les plus puissantes qui soit.
Avec amour et solidarité,
Cet article est l'édito engagé de mon infolettre de février.
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Cindy Pétrieux, La doula féministe
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